6 days ago
Notre parc immobilier n'est pas armé face aux fortes chaleurs
Conçus pour minimiser la dépense énergétique en hiver, de nombreux bâtiments ne sont pas adaptés à la hausse des températures estivales. Publié aujourd'hui à 17h09
La coopérative Équilibre à Meyrin atteste d'une évolution de la philosophie architecturale.
LUCIEN FORTUNATI
En bref:
Pas facile de trouver le sommeil quand les températures prennent l'ascenseur. Et pas évident non plus de rafraîchir son logement, lorsqu'il a été conçu pour résister aux frimas de l'hiver et non aux fortes chaleurs estivales. Dimanche, la «SonntagsZeitung» mettait en lumière une conséquence inéluctable du changement climatique : une large part des logements en Suisse pourraient devenir inhabitables.
L'hebdomadaire alémanique s'appuie notamment sur une étude menée en 2017 par la Haute école spécialisée de Lucerne. Elle indique que ses «simulations montrent que le changement climatique aura un impact considérable […]. Alors que les besoins de chaleur utile seront réduits de 20-30%, ceux de refroidissement augmenteront de manière exponentielle.» Les auteurs estiment que, dans certaines régions du pays, les «heures de surchauffes» – soit les heures où la température intérieure dépasse le seuil de 26° – pourraient franchir la jauge des 900 en 2060. On ne comptait que 27 heures au début des années 90.
Le sujet préoccupe la Ville de Lausanne. «Nous nous sommes engagés à rénover l'ensemble des bâtiments dont la Ville est propriétaire, explique Natacha Litzistorf, municipale chargée des bâtiments. Cet effort est motivé par des objectifs d'économie d'énergie, mais ces rénovations sont aussi l'occasion d'améliorer la protection contre les fortes chaleurs.»
À Genève aussi, «les enjeux climatiques sont systématiquement pris en compte dans tous les projets de rénovation et de construction des logements et des équipements publics», indique le Département de l'aménagement, des constructions et de la mobilité. Une attention particulière est portée au confort estival: «Les projets doivent favoriser des matériaux permettant une bonne inertie thermique, la ventilation naturelle et l'ombrage.»
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Reste que «les bâtiments des années 60-80 nécessitent une attention particulière, car leurs matériaux et aménagements sont souvent moins performants face à la chaleur», observe Natacha Litzistorf. La preuve que les architectes ont négligé un pan de l'évolution climatique? «Lorsque j'ai effectué ma formation, dans les années 90, on nous apprenait à isoler contre le froid, concède Stéphane Emery, coprésident de l'association Architectes pour le climat . On ne faisait pas encore face à ces phénomènes de surchauffe.»
Professeur associé à la Haute école d'ingénierie et d'architecture de Fribourg (HEIA-FR), Hani Buri continue: «Il y a eu une période où on s'est peu soucié de cette question. Ou plutôt, la climatisation est devenue le moyen de refroidir les espaces intérieurs. On est entré dans un cercle vicieux (lire encadré) .» Son collègue à la HEIA-FR Marco Svimbersky abonde: «L'histoire de l'architecture montre qu'on a eu une vision «technocentrée»: on a cherché à améliorer le confort des habitations par des équipements auxiliaires.»
Primée en 2021, la tour Lyon 77 appartient-elle déjà à une vision du passé? Face à la hausse des températures, les villes plaident désormais pour un recours aux couleurs claires.
Magali Girardin S'inspirer des constructions ancestrales
Désormais, les écoles intègrent cet enjeu dans leur enseignement. «Il y a notamment tout un intérêt croissant pour l'architecture bioclimatique, signale Marco Svimbersky. Celle-ci s'inspire des techniques vernaculaires, comme celles du sud de l'Italie ou du Maghreb, où les conditions qui nous attendent sont déjà présentes de longue date. Ces constructions traditionnelles sont conçues pour amener de la fraîcheur. Elles favorisent la circulation transversale de l'air grâce à des logements traversants et des ouvertures en hauteur qui permettent de chasser l'air chaud. Elles utilisent des matériaux à forte inertie thermique comme les murs épais, et intègrent souvent des cours intérieures avec des points d'eau ou de la végétation, qui contribuent à rafraîchir l'air ambiant.»
La philosophie évolue, donc, mais à petits pas. «C'est un secteur économique qui a une énorme inertie, constate Stéphane Emery. Il faut former les architectes, mener à bien les projets… On fait aussi face à des techniques et à des normes de construction qui évoluent lentement.»
Pour accélérer le changement, Lausanne a décidé de modifier ses règlements d'urbanisme, «pour intégrer systématiquement des critères visant à garantir le confort thermique en période de canicule, signale Natacha Litzistorf. Cela passe par exemple par l'obligation d'intégrer des éléments de protection solaire, l'interdiction des logements mono-orientés plein sud 0u la préférence pour des teintes claires.» Rénover ou démolir
Selon Stéphane Emery, «le plus grand défi sera en revanche de savoir ce que l'on fait du bâti antérieur dont la conception n'est pas adaptée». Sera-t-il possible de modifier sans raser? «Il est difficile de répondre à cette question, réagit Hani Buri. L'idéal est de privilégier le réemploi et, dans certains cas, on pourra maintenir les structures, en modifiant par exemple les ouvertures. Mais dans d'autres, la seule solution sera probablement de démolir.»
Derrière cette ère de rénovations se glissent des enjeux sociaux: «Là où il y a plus de moyens financiers, ces travaux iront plus facilement de l'avant, mais auront de la peine à démarrer dans les quartiers populaires, qui sont déjà identifiés comme problématiques face à ces pics de chaleur», souligne le président d'Architectes pour le climat.
Le tournant passe aussi par le recours à des matériaux capables de gérer naturellement les transferts thermiques, à l'image de la brique crue ou de la paille. Quelques exemples sont sortis de terre en Suisse romande, comme les locaux de la Direction générale vaudoise de l'environnement, réalisé en brique crue ou la coopérative Équilibre à Meyrin. Or, si le choix se porte encore majoritairement sur le béton, c'est principalement pour des raisons économiques.
Pourra-t-on intégrer ces matériaux sans effet sur les coûts du logement et donc sans accentuer la fracture sociale? «On parle de techniques de construction low tech ancestrales, répond Delphine Ding, coprésidente d'Architectes pour le climat. Elles ne sont pas plus coûteuses, pour autant qu'il y ait une demande et que les filières soient développées. Cela passe par des changements de culture, mais également par une volonté politique. Quoi qu'il en soit, une climatisation coûtera toujours plus cher que d'apprendre aux habitants à se protéger du chaud. Là encore, un changement culturel doit s'opérer.» Près de 20'000 nouvelles climatisations installées chaque année
S'il ne fait aucun doute que les épisodes caniculaires vont se multiplier, nos logements sont-ils condamnés à s'équiper de climatisations? Ce scénario largement répandu dans les pays du Sud, et pas seulement, est celui que redoute l'association genevoise Noé21. Car la liste de reproches à adresser aux climatiseurs est longue: énergivores, ils fonctionnent grâce à des gaz réfrigérants nettement plus nocifs que le CO 2 pour finalement rejeter de l'air chaud à l'extérieur.
Il n'empêche: malgré une législation restrictive en Suisse, plus de 20'000 climatisations fixes supplémentaires sont installées chaque année dans le pays.
Ingénieur et membre du comité de Noé21, Jean-Bernard Billeter le concède: «En temps de canicule, se rafraîchir est un geste de survie, que l'on soit sensible ou non aux questions de consommation d'énergie.»
L'association genevoise milite en faveur d'un changement de paradigme dans la construction. «Les écoles qui forment les architectes et ingénieurs commencent tout juste à se soucier de la question. Jusqu'alors, l'effort s'est concentré sur l'isolation thermique hivernale. Les bâtiments construits dans les années 90, 2000 et 2010 ont peu intégré la dynamique estivale.»
Concrètement, il s'agit pour les bâtisseurs de repenser les orientations des édifices, l'utilisation de certains matériaux ou même les couleurs du bâti. Sacrifiés sur l'autel de la densification urbaine, les appartements traversants doivent également revenir au premier plan pour offrir une meilleure ventilation.
Mais changer le bâti en vue de le rafraîchir n'est pas une mince affaire. Restent alors des gestes du quotidien pour contribuer à limiter la surchauffe des logements, entre ventilation nocturne, bonne utilisation des stores et volets ou fermeture des fenêtres la journée.
Dans ce contexte, ralentir la progression des climatiseurs s'apparente néanmoins à une chimère. «À l'heure où nous sommes engagés dans un effort de transition énergétique, cette dynamique est contre-productive», martèle Noé21. Luca Di Stefano
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David Genillard est journaliste depuis 2007 au sein de la rédaction de 24 heures, chargé plus spécifiquement, depuis 2025, de la couverture du Valais romand. Auparavant, il a travaillé durant plus de 15 ans à la rubrique Vaud & Région, où il a notamment couvert l'actualité du Chablais et des Alpes vaudoises. Il a également participé en 2021 au lancement de l'hebdomadaire Riviera-Chablais Votre Région, partenaire de 24 heures. Plus d'infos Luca Di Stefano est journaliste à la rubrique genevoise depuis 2013. Diplômé de l'Académie du journalisme et des médias (AJM), il couvre en particulier l'actualité judiciaire. Plus d'infos @LucaDiStefano10
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